France Allemagne 1982 | Schumacher, le boucher de Seville


Patrick Battiston France Allemagne Séville 1982

Pendant bien longtemps, face aux Allemands, le football fut un sport qui se jouait à 11 contre 11, et à la fin c’était toujours la France qui perdait. Si la maxime a un peu mal vieilli depuis quelques années, elle n’en reste pas moins un des proverbes fondateurs de la FFL. Si Beaumarchais avait pris la capitale andalouse comme décor pour le Barbier de Séville, l’Équipe de France l’utilisera en demi-finale de Coupe du Monde 1982 pour y jouer le Boucher de Séville. Et comme l’original, ça sera un chef-d’œuvre en 4 actes.

Prologue : Le carré Magique

Avant même cette rencontre, la Coupe du Monde 1982 avait déjà un petit goût sulfureux des 2 côtés. La France a vécu un match lunaire face au Koweït. Alors que Giresse amène le score à 4-1, le frère de l’Émir descend sur la pelouse, tape la discute avec l’arbitre et le but est annulé. Le premier arbitrage diplomatique de l’histoire de la Coupe du Monde aura lieu à Valladolid. Une véritable controverse.

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Du côté de Gijon, la RFA participera au tristement célèbre match de la honte. À une époque où les troisièmes matchs de poule n’étaient pas joués simultanément, les Allemands et Autrichiens s’accordent pour se qualifier sans prendre le moindre risque. Après l’ouverture du score Allemagne, les 2 équipes vont offrir au public 90 min de passes inoffensives. Un pacte de non-agression pour éliminer sans gloire l’Algérie qui leur vaudra les huées du stade et un tollé mondial, même en Allemagne.

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Les 2 équipes se hisseront en demi-finales au terme de la seconde phase de Poule. L’Allemagne de l’Ouest avec un jeu rude, rigoureux, avec des physiques de golgoths conjugués à un mental inébranlable. Les Français sont tout l’opposé. Vifs, imaginatifs, romantiques et spontanés, ils se découvrent leur premier carré magique ultra technique composé Michel Platini, Jean Tigana, Alain Giresse et Bernard Genghini. Un peu le French Flair avant l’heure. Bref, une opposition totale de styles.

Acte I : Le crime de Séville 1982.

Le début de match sera à l’avantage de la RFA. Immédiatement, les Allemands vont mettre une pression physique instantanée sur les joueurs français complexés par l’évènement. Littbarski trouve la transversale d’Ettori sur un coup franc avant de conclure sur un ballon mal renvoyé à la 17e minute. Mais les Français retrouvent leur finesse technique et reprennent l’ascendant. 10 minutes plus tard, Platini égalise sur penalty et les 2 équipes retourneront au vestiaire sur un score de 1-1.

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Mais le premier domino de la lose tombera bientôt. Touché à la cheville, Bernard Genghini est remplacé juste après le début de la seconde période. L’entrant ? Patrick Battiston, arrière latéral replacé en rustine comme 4ème coin du carré magique. Dominique Rocheteau inscrira même un but refusé, sur une poussette assez légère sur Bernt Föster. Mais ça n’est bien évidemment pas ce fait arbitral que le monde retiendra.

56e minute, Platini voit Battiston prendre un boulevard qui l’emmène vers le but. Il lui envoie donc un caviar dans sa course. Problème, Harald Schumacher, arrive comme un 3 tonnes à contresens. Ne se souciant absolument pas du ballon, il s’en va tamponner à pleine vitesse le joueur français. En panique face au choc imminent, Battiston tente bien de frapper dans le but vide, mais le ballon roulera vers une sortie de but. Le choc est d’une violence inouïe. Mâchoire fracturée, 3 dents perdues et une vertèbre endommagée.

 

Michel Platini accompagne son ami KO sur la civière, pris de spasmes, en lui tenant la main. À l’écart du tumulte, Schumacher ne se souciera guère du désarroi des acteurs de la scène, mâchonnant son chewing-gum paisiblement en attendant la reprise du jeu. L’arbitre ira blaguer avec le portier, avant d’ordonner la reprise du jeu à la suite du changement de Battiston pour Christian Lopez. Six mètres.

« Deux dents cassées ? S’il n’y a que ça, je lui paierai les frais de dentiste. »

Harald Schumacher, qui a dû se raviser en apprenant qu’il y en avait 3.

Acte II : L’espoir national.

Ce qui aurait pu anéantir les Français va finalement les galvaniser. Révoltés par ce fait de jeu, ils vont mettre le pied sur le ballon et dominer de la tête et des épaules la rencontre. En fin de match, Amoros envoie une praline qui ira mourir sur la transversale de Schumacher, qui se fait dorénavant huer sur chacune de ses prises de balle. Juste après, les Allemands ont aussi l’occasion de tuer le match, mais Ettori va sauver in extremis la baraque française pour les amener en prolongations.

Et à peine le temps de reprendre le jeu que Marius Trésor, complètement esseulé au milieu de la surface allemande, va envoyer une praline tel un Trézéguet à l’Euro 2000. La France exulte, et exultera encore un peu plus 6 minutes plus tard quand Alain Giresse enverra une frappe limpide. Poteau rentrant, Giresse envoie le sprint de sa vie pour célébrer. La photo de « Gigi » ivre de bonheur après le but du 3-1, presque en pleurs, reste encore dans toutes les mémoires. C’est sûr, les Bleus vont disputer leur première finale de Coupe du monde.

Alain Giresse et Didier Six — heureux, mais plus pour longtemps.

Acte III : L’inquiétude.

Mais la France romantique n’est pas du genre à fermer le jeu. Le catenaccio, trop peu pour eux, ils continuent à jouer au lieu de gagner du temps. Sur une contre-attaque lancée après 2 bons gros tacles non sifflés des Allemands, Karl-Heinz Rummenigge, double ballon d’Or en titre, réduit la marque juste avant la fin de la première période de prolongations. Et au retour, c’est Klaus Fischer qui va envoyer un retourné dans les filets français. Le bonheur de Giresse paraît déjà très loin, les ongles sont rongés aux 4 coins de l’hexagone. La première séance de penalty de l’histoire de la coupe du monde aura lieu ce 8 juillet 1982.

« Aucun film au monde, aucune pièce ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d’émotions que la demi-finale perdue de Séville. »

Platini, qui met le boucher de Séville au-dessus du Barbier dans ses classiques.

Acte IV : La lose ultime.

Ce sera un Allemand qui ratera le premier tir au but de l’histoire de la Coupe du Monde. Ulrich Stielike verra son tir arrêté par Jean-Luc Ettori. Et alors que la France se redonne le droit de rêver, elle verra Didier Six échouer juste derrière. Après les 5e tirs réussis de Platini et Rummenigge, Maxime Bossis se présente pour la mort subite. Son tir au but, un plat du pied mollasson, ne troublera pas Schumacher qui l’arrête aisément. Juste derrière, Horst Hrubesch ne tremble pas et transforme sa tentative.

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Bien que l’Italie se chargea de venger la France en finale (victoire 3 buts à 1), cette rencontre restera pour ceux qui l’ont vécue en direct le plus grand drame de leur vie de supporter. Une défaite héroïque qui suscitera des débats animés dans les bistrots de France et de Navarre. Parents, grands-parents… Séville est devenu ce jour-là un patrimoine à transmettre. Bien plus que l’Euro remporté 2 ans plus tard sur une boulette d’Arconada.

4 ans plus tard, la France s’inclinera à nouveau face à l’Allemagne de l’Ouest. Encore une fois en demi-finale de coupe du monde. Et il faudra attendre encore 28 ans pour perdre à nouveau face à l’Allemagne, en quart de finale de la Coupe du Monde 2014.

Alors, si l’adage de Gary Lineker n’est plus aussi véridique qu’antan, pour la Coupe du Monde face à nous, il tient toujours.

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Antoine