Formule 1 1990 | Life Racing, l’anti-Ferrari à tout prix !


Saison 1990. Tandis qu’Ayrton Senna remporte son deuxième titre mondial au volant de sa McLaren, l’exceptionnel se trouve ailleurs. Life Racing. Ce nom ne vous dit sans doute rien, à nous non plus, mais il restera désormais à jamais gravé dans votre esprit. La raison ? En 71 ans de Formule 1, nous n’avons à ce jour pas trouvé d’équivalent dans la lose stratosphérique.

L’histoire dont nous allons vous parler dépasse tout entendement. Agé de 38 ans en 1990, Ernesto Vita est le fils d’un riche industriel Italien. Passionné dès son enfance par Ferrari, il n’a qu’une obsession : intégrer la Scuderia. Mais face au refus de son père, il élabore tous les stratagèmes pour intégrer le monde de la Formule 1 qu’il chérit tant. Et cela va être un carnage.

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Au crépuscule des années 80, une idée traverse le jeune Ernesto. Et s’il créait un moteur de toute pièce pour devenir motoriste de F1 ? Le plan lui semble génial, à tel point qu’il contacte Franco Rocchi, un ancien ingénieur motoriste de Ferrari. Le bougre a un fantasme, celui de concevoir un moteur révolutionnaire : le W12. Un bloc de douze cylindres qui ne mesure que 53 centimètres. Jamais la Formule 1 n’avait vu cela.

Si le tandem Rocchi – Vita pense que toutes les écuries du paddock vont s’arracher leur moteur, et les faire ainsi devenir richissimes, pas un seul team n’en veut. Malgré ce gigantesque affront, Ernesto Vita a toujours un tour dans son sac. Et devant l’incapacité de s’inscrire en tant que motoriste, le patron Italien décide tout bonnement de s’engager en Formule 1 en tant qu’écurie pour la saison 1990. Voilà comment est né le pari dingo de Life Racing. Sur un coup de tête.

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Life Racing, aux antipodes de la performance

Avec un simple moteur entre les mains, il a fallu penser tout le reste de la voiture. Et pour ça, on peut faire confiance à Vita pour se fournir parmi l’élite automobile. Oubliez Ferrari, McLaren ou Williams. Le patron Italien jette son dévolu sur First F1. Un nom trompeur, car le team n’est jamais parvenu à courir en Formule 1, faute d’argent. Cela n’empêche pas Vita de récupérer la boîte de vitesse, les suspensions et le châssis. Oui mais voilà, outre le manque de financement, First F1 a également été recalé pour ne pas avoir validé le crash test d’homologation de la FIA. Une voiture ultra lente, et désormais dangereuse.

Auteur de ce maudit châssis, l’ingénieur Richard Divila tente de convaincre Vita de la dangerosité de la pièce ; le patron Italien est sans équivoque.

« Je vais faire de l’ombre à Ferrari » E. Vita

Le plan ? Imiter le rouge de la Scuderia, et vanter d’être une voiture Italienne. La ressemblance s’arrête là. Pourtant, on ne peut pas dire que cette monoplace donne envie à beaucoup de pilotes de la conduire. Vita fait appel à Marco Apicella, mais ce dernier préfère continuer de courir en Formule 3. Les deux victimes seront finalement Gary Brabham et Franco Scapini. Lors des premiers essais hivernaux, c’est l’ivresse dans le clan de Life Racing. Les ingénieurs n’en croient pas leurs yeux ; la monoplace roule ! Mais Brabham se veut lui moins rassurant.

“Nous avons tout de suite rencontré des problèmes électriques. Il est évident que nous ne serons jamais prêts pour les premiers Grands Prix. Il y a tellement de choses à revoir, cela ne me semble pas réaliste, l’équipe semble particulièrement inorganisée” G. Brabham

Ou comment plomber l’ambiance en une interview.

 

Don’t Drive To Survive

11 mars 1990. Premier Grand Prix de la saison, aux États-Unis. Et pas besoin d’attendre plus de courses pour assister à l’insolent professionnalisme de Life Racing. Visible jusque dans les plus petits détails. Pour commencer, oubliez la centaine de mécaniciens qui fourmillent dans les stands de chaque écurie. Chez Life Racing on est 6. Sans oublier que l’un d’eux n’est autre que le chauffeur du camion en personne. Niveau équipement, c’est pas folichon non plus. Les mécanos ne possèdent pas de pistolet pneumatique. Le changement de pneus se fait donc manuellement, ce qui prend bien évidemment une plombe.

Juste avant de prendre la piste, Brabham se rend compte qu’il y a une grosse agitation autour de sa voiture. En effet, les mécaniciens n’ont pas de manomètre pour mesurer la pression des pneus. Il faudra compter sur une écurie voisine pour en récupérer un. Chez Life, on ne laisse pas la chance au hasard. Lors des pré-qualifications, Gary Brabham claque un 2 min 7s sur le tracé américain. À 34 secondes du dernier pilote qualifié. À 40 secondes du poleman. Avec une vitesse maximale évaluée à 185 km/h. Plus lent qu’une Golf GTI.

Le problème chez Life Racing, c’est qu’on a pris trop au sérieux le dicton « le ridicule ne tue pas ». Pour continuer dans l’insolite, sur certains Grands-Prix on peut notamment voir quelques mécanos courir après les pièces perdues par la monoplace, dont un capot arrière en Espagne. Pour quelle foutue raison ? Tout simplement car il n’y en avait pas de deuxième dans les stands. Ni à l’usine d’ailleurs. Et au final, l’anti-performance de la monoplace arrange tout le monde. À commencer par l’équipe elle-même.

“C’est peut-être mieux si on ne se qualifie pas, parce qu’en fait on a aucune pièce détachée” Mécanicien Life Racing

 

Un record Life Racing qui tient encore aujourd’hui

Devant un tel amateurisme, Gary Brabham préfère retourner en Formule 3. Une telle décision est inédite dans l’histoire de la F1. Jusqu’à ce que Goodyear lui-même, fournisseur de pneus, souhaite se désengager également de Life Racing. On croit rêver, mais non.

Pour remplacer Brabham, Ernesto Vita choisit Bruno Giacomelli. Sauf que ce dernier n’a plus piloté depuis 1983. Soit sept années sans effleurer le moindre volant d’une Formule 1. De circuits en circuits, la situation s’empire. Seulement un mois après le trou d’air américain, la F1 se rend à Saint-Marin. Giacomelli boucle son tour le plus rapide avec une vitesse moyenne de… 104,4 km/h. Il y a clairement match avec les voitures essence désormais. Le 15 juillet, à Silverstone, Giacomelli décroche un record historique : il boucle un tour en plus de 4 minutes sur le tracé anglais. Jamais une monoplace n’avait été aussi lente dans l’histoire de la F1.

Si Life Racing ne laisse aucune chance au moindre espoir sur la piste, l’environnement de l’écurie est tout aussi sensationnel. Tandis que les autres teams jouissent tous d’un motorhome, Life Racing possède lui un camion. Où faire les briefings alors vous allez me dire ? La réponse est donnée par un des mécanos.

“Un motorhome ? Pourquoi faire ? On n’a rien à se dire” Mécanicien Life Racing

Les mots nous manquent.

 

Giacommelli, un come-back pour 0 dollar

23 septembre 1990. Lors de la 13e des 16 manches du championnat, la F1 se rend au Portugal. Et un tremblement de terre s’abat sur la catégorie reine du sport automobile : le W12 n’est plus. Ernesto Vita a eu besoin de six mois de chaos, sans aucune participation à la moindre séance de qualifications pour prendre cette décision.

Et en l’espace d’un week-end, les Italiens vont frapper fort, très fort. Giacomelli réussit à parcourir 3 tours d’affilée. Le record de la saison vient d’être officiellement battu. Et ce n’est pas une blague (obligé de préciser avec cette écurie en même temps). Mais le week-end de course de Life Racing se terminera tout de même le vendredi matin lors des pré-qualifications. On ne change pas une équipe qui perd.

Inutile de préciser également que Giacomelli ne sera jamais payé pour toutes ses courses. Histoire que la boucle soit bouclée, à défaut de pouvoir boucler des tours. Le mot de la fin revient au plus courageux des pilotes de Formule 1, Bruno Giacomelli, qui aura conduit durant six mois une voiture n’ayant pas survécu au crash-test.

“Je n’ai jamais eu aussi peur que dans cette voiture, et pourtant avec 360 chevaux au maximum de sa puissance, elle rendait plus de 100 km/h à une McLaren…” B. Giacomelli

Éternel respect, Signore Giacomelli.

Tom