Tu peux perdre une régate, mais pas neuf. Tu peux perdre cinq régates, mais pas neuf. Tu peux perdre huit régates… Le 18 septembre 2013, le bateau néo-zélandais mène 8-1 sur les eaux d’Oracle à San Francisco, chez le « defender » comme on l’appelle sur la prestigieuse Coupe de l’America – une des 38 compétitions s’octroyant le titre si honorifique de troisième compétition la plus regardée de la planète derrière la Coupe du monde et les Jeux olympiques.
Plus qu’une leçon, c’est une humiliation devant les fameuses otaries locales qui, en grandes connaisseuses, se gaussent de rire. Les Américains sont à deux doigts de s’enfermer eux-mêmes à Alcatraz. Et les Kiwis semblent donc plus que bien partis pour remporter une nouvelle fois le « plus vieux trophée du monde » (1851, soit deux ans avant la naissance de Michel Drucker).
Barker : « On peut pleurer ou on peut rire »
En même pas deux semaines, c’est la victoire la plus écrasante de l’histoire qui se dessine. Et de loin. Pour ne rien arranger, Oracle en gagne deux pour rien, à cause de points de pénalité pour tricheries dans les séries AC45 de l’année précédente (oui, on fait semblant de s’y connaitre). Le comité olympique néo-zélandais, fataliste face à cette issue trop évidente, prépare déjà son mail de félicitations. Et l’envoie aux officiels qui devront transmettre le message sur place, dont… le chef d’Oracle, le compatriote Russell Coutts, vainqueur pour la Nouvelle-Zélande en 1995 et 2000 avant d’aller faire gagner d’autres contrées (la Suisse et Alinghi en 2003, en battant déjà son pays, puis donc les Etats-Unis). Oups… Le 19 septembre, les braves Américains reviennent à 8-2, les cirés grands ouverts, le spi à tribord toute, les rafales d’embruns à pleins poumons. Et dès que le vent soufflera, je repartira.
Le lendemain, c’est sûr, la Nouvelle-Zélande la tient. Très largement en tête, les flibustiers du Pacifique se servent déjà le rhum et oublient un point de règlement important. Il faut respecter une limite de temps pour finir sa course, 40 minutes maximum. Le skipper Dean Barker le concède, « c’est dur, mais on n’y pensait pas vraiment. Il faut qu’on laisse ça derrière nous. » Bonne idée. Tiens bon la vague et tiens bon le vent. Si Dieu veut, toujours droit devant… « On peut pleurer ou on peut rire, et c’est ce qu’on a fait. C’est frustrant, on a laissé passé une nouvelle opportunité et il faudra bien être dans notre match demain. » Ou plutôt après-demain. Le 22 septembre, Oracle revient à 8-4 puis 8-5. Le 23, ça fait 8-6. Il n’en manque toujours qu’une à Team New Zealand. Mais là, ça commence à boucher sérieusement les écoutilles.
De Nora ne s’est « jamais senti aussi Kiwi »
« On ne voudrait toujours pas échanger nos positions, assure encore l’ami Barker. On est toujours en balle de match, alors qu’ils doivent en gagner trois. Mais c’est définitivement une bataille. Les gars sont très, très positifs, on sait qu’on peut s’imposer. » Aucun doute, la sublime musique de la défaite est déjà en eux. Soudainement frappés d’une PHM-ite du deuxième métatiagosilva, les Kiwis se laissent bel et bien « remontader » : 8-7 puis 8-8 le 24 septembre, et enfin la touche finale du chef-d’oeuvre le lendemain. Le feu d’artifice du siècle, 9-8 ! Barker, enfin soulagé, se dit « incroyablement fier ». Tu m’étonnes. A côté, les explorations de Christophe Colomb, des deux grands Jacques (Cartier et Dawson) ou d’Olivier de Kersauzon ne valent que bien peu de choses. A en faire taire les otaries, Maxime Le Forestier et tous les autres adossés à la colline.
Matteo de Nora, copain de Barker parmi la grande équipée des héros, a aussi le mot juste : « Je n’ai jamais été aussi fier de faire partie de cette équipe. Je ne me suis jamais aussi senti Kiwi. » La défaite pourrait paraître amère pour les Néo-Zélandais. D’autant plus qu’il fallait ensuite se taper les 10 000 bornes à la voile pour rentrer. Mais au fond, ils ne réalisent pas. Leur joie est logiquement indescriptible, presque choquante. Pourquoi sommes-nous les élus, pourquoi eux et pas nous ? Atteindre ainsi le sommet de la lose, une performance qui ne sera peut-être jamais égalée tous sports et éléments confondus, ça enivre comme une rasade d’iode. Même le skipper américain, Jimmy Spithill, ne peut que s’incliner. Avec des mots simples, ceux qui suffisent : « Ils sont forts. C’est une équipe de champions. » Ce jour-là, la FFL a enfin compris pourquoi l’eau, c’était la vie.
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