Ladji Doucouré, dans ses plus grandes défaites, a souvent peiné à masquer sa joie débordante. Après sa quatrième place aux JO 2008, dans les bras de Miss France, les larmes coulent. Rebelote après ses Championnats d’Europe à Helsinki ratés en 2012, ce qui devait lui barrer brillamment les portes des JO de Londres – si la FFA n’avait pas voulu absolument défier la FFL en le sélectionnant quand même… Puis en annonçant sa retraite sur le plateau de RMC Sport, en 2017.
L’an dernier, il a même fini par provoquer les sanglots d’Inès Vandamme, sa binôme de Danse avec les Stars. Là aussi, il a perdu en finale. Mais sa plus belle lose reste bien celle qui a lancé sa carrière. Dès les Jeux Olympiques 2004, à Athènes. Pas de pleurs ce jour-là. Porté par la candeur de sa jeunesse, à 21 ans seulement, il ne saisit alors pas réellement la portée de sa défaite.
Après avoir battu successivement le record de France de 1986 au premier tour (13″18) et en demi-finales (13″06), il se présente avec le plein de confiance. Stéphane Caristan est enfin « archivé », selon ses propres mots. En grand spécialiste, il anticipe parfaitement ce qui arrivera dans quelques jours : « Il m’a mis un coup de pied aux fesses. Il a fait une course relâchée. Or le relâchement est le secret de la performance. Cette course doit être une référence. » Et encore, c’était avant la demie… Et puis arrive le grand jour de la finale. Ladji Doucouré, couloir 3 sur la gauche de Liu Xiang, ne part pas très bien. Mais il rattrape vite la meute, se collant au rythme du Chinois qui deviendra champion olympique et recordman du monde dans une poignée de secondes. Le Français est deuxième avant la 10e et ultime haie. Celle-ci aura le dernier mot. Elle transforme cette potentielle douloureuse médaille d’argent en huitième et dernière place.
« Si c’était à refaire, je referais tout pareil »
Le relâchement, disait Caristan… Il est total et puissant sur cet obstacle final. Sublimé par un ballet dégingandé, afin de faire croire à la chute. Pour magnifier un peu plus le panache de cette défaite majuscule. Liu finit en 12″91, Ladji Doucouré en 13″76. A chaud, il savoure déjà très simplement son immense fait d’armes dans la ville de l’olympisme : « Etre deuxième sur une course aussi importante, ça ne m’intéressait pas. » Dans l’histoire, surtout à un tel niveau d’excellence, rares sont ceux qui ont su à ce point assumer leur penchant pour la défaite. Et le traduire ainsi en actes. Surtout dans ce laps de temps minimal d’un sprint. Si Ladji a choisi les haies, c’est évidemment pour taper dessus. Quelques mois plus tard, son refrain reste le même. Encore tout à son bonheur : « Si c’était à refaire, je pense que je referais tout pareil. »
Tout juste concède-t-il, pour le bon mot : « J’assurerais peut-être les avant-dernière et dernière haies pour la médaille. » Quand on ne comprend pas le génie, à un moment, il faut bien répondre ce que les journalistes ont envie d’entendre… « Le vrai problème est venu du départ, explique encore Doucouré. Sur le deuxième départ, j’ai bougé légèrement les jambes dans les starting-blocks, et j’ai cru que les juges l’avaient vu. Alors j’ai repensé à ma mésaventure du Stade de France. » Son faux départ avait provoqué son élimination en demi-finales des Mondiaux, l’année précédente. De magnifiques prémices, déjà. « J’ai perdu ma concentration. Si j’avais su que les officiels ne m’avaient pas vu bouger, j’aurais probablement pris un meilleur départ… Il faut que j’enlève ça de ma tête. » Fort heureusement, ça n’est jamais vraiment parti.
« Un jour, on m’a même demandé mon slip » – Ladji Doucouré
Hormis ce regrettable mais compréhensible relâchement (encore lui) en 2005 avec le titre mondial, Doucouré est toujours resté comme un des meilleurs représentants de l’athlétisme vrai à la française. Quand on est proche des gens et du Paris Saint-Germain… ça finit logiquement par payer. « Aux fans, j’ai donné mes chaussettes, mes pointes, mes débardeurs, mes shorts… et un jour on m’a même demandé mon slip », s’exclamait-il l’an dernier (pour Télé-Loisirs). Le seul qu’il s’est autorisé à conserver pour lui. Histoire de garder une trace en son jardin secret. En témoignage de cette carrière d’une régularité rare, impeccablement jonchée de blessures diverses et variées. Et de ce 27 août 2004, cet échec qui aura au moins permis de clouer le bec de Patrick Montel pendant quelques secondes. Rien que pour ça, merci Ladji.
- Roland-Garros 1993 | Thierry Champion, le bien nommé - 30/05/2024
- Toulouse – Liverpool 2007 | Le Téfécé ne marchera jamais seul - 26/10/2023
- Mahiedine Mekhissi | La célébration de la gloire - 16/08/2023