1966. Si comme tout amoureux du football, cette date vous rappelle le sacre mondial des Anglais de Bobby Charlton, un autre événement a pourtant marqué au fer rouge le football allemand. Alors que la Mannschaft s’est écroulée en finale, une pépite a toutefois vu le jour en Bundesliga cette saison-là : le Tasmania Berlin. Un air d’Australie dans une Allemagne plongée dans la guerre froide. Mais une lose, elle, 100% berlinoise.
Un Berlin peut en cacher un autre…
Le Sport Club Tasmania 1900 Berlin a toujours eu du mal à s’attirer la lumière. Avec pour seul palmarès 3 titres de champion de Berlin, atteindre la postérité semblait plutôt compromis. Et pour cause, le club a été éclipsé de longue date par son grand frère du Hertha. Alors quand Tasmania voit son rival historique être relégué en seconde division pour avoir enfreint délibérément le salary cap, ses fans exultent. Une aubaine pour le SCT, club de D2, qui est promu automatiquement en Bundesliga afin de conserver une équipe berlinoise en première division. Et oui, le plus grand exploit du football allemand puise ses origines dans des combines de politique politicienne.
Si la joie est immense du côté de Tasmania, cette nouvelle intervient seulement deux semaines avant le coup d’envoi de la Bundesliga. Obligeant les dirigeants à rappeler en panique leurs joueurs partis en vacances. Ajoutez à cela le fait qu’à l’époque, la deuxième division allemande s’apparente davantage à une succession de mini championnats régionaux, et vous obtenez tous les ingrédients d’une lose en puissance qui débarque en Bundesliga.
Mais contrairement à ce qu’on peut penser, Tasmania démarre tambours battants le championnat. Lors du match d’ouverture dans l’Olympiastadion du Hertha Berlin, le SCT s’impose face à Karlsruhe devant plus de 80 000 personnes. Et termine la première journée sur le podium ! Et si Tasmania Berlin créait la surprise ? Mais les doutes autour de cette équipe inconnue vont être levés dès les semaines suivantes : 17 buts encaissés sur les trois premiers matchs à l’extérieur. Drôle de parcours pour une équipe disputant la course au titre tout de même.
Neuf mois de pure galéjade footballistique
Dès la 12e journée le coach Franz Linken est viré. Ou plutôt devrions-nous dire : une éternité au vu des résultats. Heinz-Ludwig Schmidt prend place sur le banc. Le cadeau le plus empoisonné du siècle dernier. Schmidt ne stoppe absolument pas l’hémorragie et perd ses six premiers matchs, permettant au SCT de réaliser une série hautement improbable de 10 défaites consécutives. Et des raclées à la pelle : 5-0, 6-0, 7-2… Mais la plus belle d’entre elles a lieu lors de la réception dans son antre du Meidericher SV : défaite 9-0. Ouch.
Si la qualité défensive du SCT n’est plus à prouver, son attaque n’a rien à lui envier non plus. Du 2 octobre au 11 décembre 1965, Tasmania parvient à réaliser l’exploit de ne marquer aucun but. Huit matchs vierges, soit plus de 800 minutes sans faire trembler le moindre filet. De quoi faire redescendre quelque peu l’enthousiasme du départ. Si certains clubs possèdent des supporters qui les poussent jusqu’à la dernière journée, ce n’est pas vraiment une tradition chez les Berlinois disons. Alors que le SCT avait débuté sa saison devant 81 000 spectateurs, Tasmania accueille jusqu’à 827 supporters le 15 janvier face à Mönchengladbach. C’est à peine si le stade ne s’est pas effondré.
Mais toute belle histoire a malheureusement une fin. Et en ce 21 mai 1966, avant-dernière journée de Bundesliga, Tasmania trahit ses propres valeurs en s’imposant face au Borussia… Neunkirchen. Il ne faut pas trop en demander non plus. La série s’arrête sur 31 matchs sans la moindre victoire. Un record toujours en activité. Mais plus de peur que de mal, tout rentre dans l’ordre dès la semaine suivante pour le dernier match de la saison. Une claque 4-0 sur la pelouse de Schalke 04. Pour atteindre la barre symbolique des 108 buts encaissés sur une saison. Soit plus de 3 par match. Nécessaire de vous préciser qu’il s’agit également d’un record ?
Un record en grand danger…
Ironie du sort, 55 ans plus tard le club de Gelsenkirchen a l’opportunité de battre à son tour le record de matchs consécutifs sans victoire en Bundesliga. Du haut de ses 30 rencontres immunisées de tout succès, Schalke 04 peut égaler la marque de Tasmania Berlin face à Hoffenheim. Outre l’immense affront que susciterait ce record, les joueurs de Schalke 04 se voient infliger une énorme pression sur leurs épaules, non pas de la part de leurs fans, mais des supporters de Tasmania Berlin en personne ! À la suite du dernier revers du club de Gelsenkirchen face… au Hertha Berlin (décidément), ces derniers se sont rendus devant le stade pour manifester leur mécontentement. Car, eux, ils y tiennent à leur titre de pire équipe allemande de l’histoire.
“That’s our record!” Few pictures of the Tasmania Berlin fans, their flags and their messages of support for Schalke outside the Olympiastadion this evening. pic.twitter.com/JpjKic7JmX
— Archie Rhind-Tutt (@archiert1) January 2, 2021
Et le pire dans tout ça, c’est que leur manifestation a porté ses fruits. Schalke étrille Hoffenheim 4-0. Et laissé Tasmania Berlin seule détentrice de ce fabuleux record.
Une légende qui n’est pas près de disparaître.