L’histoire que nous allons vous conter renvoie Steven Spielberg et Martin Scorsese à leurs chères études. En effet, si Hollywood se croit au sommet de l’écriture de scénarios improbables, l’Asie du Sud-Est lui a fait de l’ombre lors de l’été 1998. Le timing ne pouvait être plus pertinent pour digérer l’abominable parcours des Bleus au Mondial.
Tiger Cup, kesako ?
Huit nations, réparties en deux poules de quatre, se disputent l’immense Tiger Cup, une sorte de championnat de l’Asie du Sud-Est de football. L’édition a lieu à la fois en Birmanie et au Vietnam, raison pour laquelle ces derniers font figure de grandissimes favoris. Dans l’autre groupe, la Thaïlande, championne en titre en 1996, et l’Indonésie se disputent la première place. Tous deux veulent à tout prix éviter l’épouvantail vietnamien. Va alors se jouer un match hors du temps au stade Thống Nhất à Hô Chi Minh-Ville.
Pour se qualifier, la Thaïlande ne doit pas perdre par 4 buts d’écart, et l’Indonésie a besoin d’un simple nul pour terminer en tête du groupe. Mais avant même le coup d’envoi de la rencontre, les deux nations apprennent les résultats du groupe B ; Singapour termine finalement premier de la poule, devant le Vietnam. Dès lors, les plans les plus machiavéliques vont sortir de leurs chapeaux.
Commence alors une course effrénée pour terminer 2e du groupe A et éviter le Vietnam en demi-finale. Qui plus est, la demie contre le Vietnam doit avoir lieu le jour de la fête nationale du pays. Autant vous dire que ni l’Indonésie ni la Thaïlande ne souhaitaient affronter les locaux ce jour-là. Toutes les graines d’un match de légende sont désormais plantées.
Indonésie – Thaïlande, plus puissant qu’un somnifère
Devant les 5 000 personnes venues les voir, Thaïlandais et Indonésiens nous refont le remake d’Allemagne – Autriche en 1982. Mais cette fois, le “match de la honte” ne sert pas à éliminer une équipe (l’Algérie) mais à en éviter une. Dès le coup d’envoi, les deux équipes jouent volontairement mal ; aucune intensité dans les duels, des passes anodines sans volonté de menacer l’adversaire, à tel point que l’arbitre n’a pas à effectuer le moindre coup de sifflet lors de la première mi-temps. Il ne faut attendre qu’un petit quart d’heure pour voir le stade commencer à se vider ; bienvenue dans la Tiger Cup.
A la pause, les officiels de la rencontre viennent voir les sélectionneurs respectifs pour leur remonter les bretelles, et leur supplier d’offrir un spectacle moins terrifiant. Et il faut croire que l’annonce a son petit effet du côté indonésien, où le premier but de la partie est marqué ; le traître se nomme Mirobaldo Bento. Mais pas de panique, chaque pays possède son joueur infidèle. Pour la Thaïlande, c’est Kritsada Piandit qui égalise à la 62e minute. L’Indonésie reprend l’avantage à 10 minutes du terme, mais est rapidement rejointe au score quelques minutes plus tard. 2-2.
Alors qu’on entre dans le temps additionnel, l’Indonésie est toujours en tête du groupe. De ce fait, le pays aux 17 000 îles est condamné à affronter le Vietnam en demies. Il lui faut donc trouver un moyen pour perdre ce fichu match. Le gardien tente une percée balle au pied jusqu’au milieu de terrain, mais manque de pot pour lui, ses filets ne tremblent pas pour autant. C’est alors que le match va être frappé d’un geste iconique, le faisant basculer dans une postérité certaine.
Mursyid Effendi, notre héros à nous
Il ne reste qu’une poignée de secondes à jouer au chrono. Quand tout à coup, le défenseur indonésien Mursyid Effendi est pris d’une idée de génie. En possession du ballon dans sa propre surface, ce dernier torpille ses propres filets alors même que les adversaires essayent de l’en empêcher, ayant rapidement compris le manège. Et ce pour forcer la Thaïlande à s’imposer 3-2. Ce sont désormais les Thaïlandais qui héritent du Vietnam en demi-finale. Le tour de force est royal. Ces derniers optent alors pour la même stratégie, mais il est déjà trop tard. Rarement une victoire ne se sera traduite par une telle lose.
Les Indonésiens ont bien fait leur calcul ; le Vietnam gagne 3-0 la Thaïlande en demi-finale. Mais ils ont visiblement oublié la retenue dans leur opération ; ils s’inclinent eux aussi contre Singapour dans l’autre demie. Le karma, mes amis.
Comble de l’histoire, Thaïlandais et Indonésiens se retrouvent… pour la fameuse petite finale. Et cette fois, c’est l’Indonésie qui gagne. Même si on a l’impression qu’ils font la pluie et le beau temps lors de cette opposition. Et le plus beau dans tout ça, c’est que ce stratagème s’est finalement avéré caduc ; Singapour a battu le Vietnam en finale. Toussa pourssa.
L’Indonésie, sa fédé a du boulot
Bien évidemment, les officiels n’en restent pas là. Les deux sélections écopent d’une amende de 40 000 dollars pour “avoir délibérément omis de tenter de gagner la rencontre” et “violation de l’esprit du jeu“. Deux valeurs pourtant en adéquation avec notre constitution. Mursyid Effendi, lui, se voit banni à vie du football international. C’est un peu comme si on interdisait un Français de se qualifier en deuxième semaine de Grand Chelem ; il y parvient sans avoir besoin d’aide. La chute ne s’arrête pas là ; Azwar Anas, président de la fédé indonésienne de football, démissionne par la suite. Domino Day a de la concurrence.
“C’est une trahison pour le pays” A. Anas
Ironie du sort, la Thaïlande remporte les deux éditions suivantes, et devinez contre qui ? L’Indonésie. Ces deux ne se quittent plus. A vrai dire, le double sacre des Thaïlandais n’a rien d’exceptionnel ; il est en effet très compliqué de s’incliner face aux Indonésiens en finale de la Tiger Cup ; ces derniers ont perdu leurs 6 finales (2000, 2002, 2004, 2010, 2016, 2020). Et à quatre reprises, ce fut contre… la Thaïlande.
Karma, quand tu nous tiens.