Chang-Lendl, une cuillère en or


Chang-Lendl, une cuillère en or
Quand on repense à la fameuse victoire de Michael Chang contre Ivan Lendl, en huitièmes de finale de Roland-Garros en 1989, on ressort forcément le service à la cuillère. Et cette avancée près du carré de service sur balle de match, pour provoquer la double faute du Tchèque. On a encore des étoiles dans les yeux pour l’Américain, jeune impétueux de 17 ans qui a tout fait pour essayer de perdre. Mais il a échoué. Alors pourquoi ne pas se placer, pour une fois, du côté de Lendl ? Car oui, se faire éliminer par un adolescent en étant n°1 mondial, surtout après avoir mené deux sets à zéro, voilà une performance rare qui mérite sa place dans l’encyclopédie de la lose.

Triple vainqueur à Roland-Garros (1984, 1986, 1987), détenteur de sept titres du Grand chelem au total, dont le dernier en Australie quatre mois plus tôt, Lendl gagne d’abord les deux premiers sets 6-4, 6-4 et se dirige vers une énième déception. Mais il rehausse enfin son niveau de jeu pour lâcher les deux manches suivantes 6-3, 6-3. Haï du public parisien, et c’est bien normal puisqu’il ne représentait rien d’autre que la victoire – surtout avec ce sacre de 1984 enlevé à John McEnroe, après avoir été mené deux sets à zéro (3-6, 2-6, 6-4, 7-5, 7-5) – Lendl n’a pas perdu tout seul. Mais il a enfin accepté avec bonheur une aide adverse. Celle de Michael Chang.

Perclus de crampes, au bout du rouleau, ce dernier sert donc à la cuillère alors qu’il mène 4-3, 15-30. Il gagne le point en deux coups. « Un service de pongiste, d’une autre époque », selon le regretté Patrice Dominguez (au côté du légendaire Lionel Chamoulaud, hé oui déjà). Enrico Macias devient fou en tribune. Et puis, il y a cette balle de match. Vexé de voir l’enfant vouloir lui voler sa lose à ce point, en venant quasiment sur le T, Lendl conclut d’une double faute. « Ce n’était pas si important dans ma carrière », assurait-il encore récemment, en 2017, à GQ.

Je ne comprends vraiment pas toute la fascination autour de ce match.

Ce qu’on sait moins, et c’est là qu’intervient notre devoir de mémoire, c’est ce que cette défaite a bel et bien provoqué pour la suite. Dans un premier temps, Lendl zappe les deux éditions suivantes de Roland-Garros. Mais pour mieux revenir en 1992 : il s’incline alors au deuxième tour face au Brésilien Jaime Oncins, qui n’a jamais été dans le top 30 mondial. En 1993, c’est l’apogée, avec une défaite exceptionnelle au premier tour contre le Français Stéphane Huet, 294e mondial. Puis Arnaud Boetsch devient son pire cauchemar. Oui, vous avez bien lu. Le Français le bat au deuxième tour de Wimbledon, puis encore au premier tour de Roland-Garros en 1994.

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Plus tard, Lendl, définitivement révélé aux joies de la lose, est allé exprimer son nouvel amour de l’échec dans le golf. Cette cuillère, celle-là même qu’il avait également utilisée face à John McEnroe dans sa jeunesse, a fini par le ramener à la raison. Sa victoire et sa finale en Australie, en 1990 et 1991, n’étaient que de petits égarements sur le chemin de la rédemption. Michael Chang, alors qu’il allait abandonner, dit qu’il a entendu Dieu avant son service à la louche. Le dieu de la lose. C’était enfin le jour de Lendl.


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