Comme chaque année, le Giro donne le coup d’envoi des trois Grands Tours. En 1957, Louison Bobet pensait lancer sa saison de la meilleure des manières en s’alignant sur le Tour d’Italie. Mais c’était sans compter une pause pipi qui changerait le cours de ce 40ème Giro.
Quand on évoque une deuxième place française sur un Grand Tour pour une poignée de secondes derrière le premier, on pense tout de suite au Tour de France 1989. À l’époque, Laurent Fignon réussit l’exploit de perdre la Grande Boucle pour 8 petites secondes face à Greg LeMond. Mais contrairement à ce qu’on peut penser, il ne s’agit pas de l’unique prouesse tricolore sur un Grand Tour. En effet, un certain Louison Bobet avait déjà frappé un très grand coup sur le Giro, 32 ans plus tôt.
Louison Bobet, très loin de la FFL
Si vous connaissez le vélo, le nom de Louison Bobet ne devrait avoir aucun secret pour vous. Pour les autres, il s’agit tout simplement d’un des plus grands cyclistes français de l’histoire, au côté de Bernard Hinault et Jacques Anquetil. Triple vainqueur du Tour de France, champion du monde et lauréat de quatre des cinq Monuments. À savoir Paris-Roubaix, Milan-San Remo, le Tour de Lombardie et le Tour des Flandres. Rien que ça. Un géant aux pieds d’argile lors de la saison 1957.
En effet, le natif de Saint-Méen-le-Grand en Bretagne ne le sait pas encore, mais il vient de remporter toutes ses plus belles victoires avant de prendre part au Tour d’Italie 1957. Âgé de 32 ans, Louison espère glaner un autre Grand Tour que celui en France. Roi dans son pays, il veut étendre son royaume en Italie. Une décision qui va permettre à la FFL de trouver l’unique dossier à traiter dans son immense carrière.
Le début de Giro qu’on craignait
À l’heure où les Grands Tours n’hésitent plus à faire des détours à l’étranger, en 1957, le Giro savait lui faire preuve de plus de cohérence. Départ à Milan, arrivée à Milan. Une rigueur quasi allemande.
Dès le lancement de la course, un homme se distingue parmi les 120 concurrents : Louison Bobet. Le Breton n’est pas du genre à attendre que les choses viennent à lui. Dès le troisième jour de course, Louison hérite du maillot rose qu’il va garder durant cinq étapes. Mais une arrivée à Naples va changer le cours de ce Giro. Vito Favero s’impose, Nino Defilippis récupère la fameuse maglia rosa. La FFL a enfin son mot à dire.
Où est Charly ?
La remontée vers le nord de l’Italie réussit mieux à Louisette Bonbon, sobriquet donné quelques années plus tôt par le peloton pour son côté très pleurnicheur. On reconnaît bien la patte française, mauvais perdant jusqu’au bout des ongles. Lors de la 15e étape, les coureurs s’élancent de Saint-Vincent pour rallier Sion. Une étape longue de 134 kilomètres seulement, mais au cœur des Alpes. La veille du départ, Charly Gaul, vainqueur en titre du Giro, préfère la jouer modeste devant les journalistes. Fidèle à lui-même.
“Demain il y a les cols, je laisserai Bobet à 5 minutes” C. Gaul
Le prophète luxembourgeois a eu une vision quelque peu erronée, disons. Dans le milieu du sport, on appelle cela faire une “Aulas”. Louison Bobet remporte son unique étape du Giro, et reprend le maillot rose par la même occasion. La seule question au bout des lèvres du Français à l’issue de l’étape est la suivante : Où est Charly ? Relégué à plusieurs encablures du Breton.
Une pause pipi fatale à Charly
Piqué à vif dans son égo, Charly Gaul récupère la tête du classement à l’aube de la dernière semaine de course. Le trio Bobet – Gaul – Nencini mène une lutte sans merci pour la victoire finale. Mais la 18e étape va sans aucun doute devenir l’une des journées les plus irréelles de l’histoire du cyclisme. En ce jeudi 6 juin 1957, treize ans jour pour jour après le Débarquement de Normandie, un autre événement majeur va secouer l’Europe. Le peloton n’a plus que quatre étapes à parcourir. Charly Gaul est solidement installé en tête du classement, mais l’Ange de la montagne va subir un grand moment de vélo.
Le programme du jour est simple. Les coureurs doivent rouler durant 240 bornes, de Côme à Trente. Au moment de traverser Brescia, Charly Gaul s’arrête pour satisfaire un besoin pressant. Sachant que le peloton a coutume de ne pas attaquer dans ces moments d’intimité, le Luxembourgeois en profite pour prendre son temps. Il en rit même, et affiche un sourire narquois face à ses concurrents. Charly possède le maillot rose, et il le fait bien savoir.
Gastone Nencini et Louison Bobet goûtent peu à cette ultime provocation. Les deux outsiders se regardent entre quatre yeux et voient la même lueur dans le regard de l’autre ; une farouche envie de placer une attaque fulgurante. Sous leur impulsion, le peloton traverse la ville de Brescia à plus de 80 km/h. Un grand moment de fair-play.
Charly Gaul a à peine le temps de remonter son cuissard et de se remettre en selle. Le Luxembourgeois revient tout près du peloton, avant d’exploser littéralement en vol. Le lauréat en titre perd 10 minutes dans l’histoire, le maillot rose et le Giro par la même occasion. Le tout à cause d’une pause pipi. Une chose est sûre, le tuto de Marion pour effectuer une pause pipi sereine aurait bien servi à Charly.
Bobet, deuxième pour une poignée de secondes
Charly prend la mouche, et décide de changer à lui tout seul le cours de ce Giro. Sans plus aucun objectif, Gaul se fixe un ultime but sur ce Giro. Étant donné qu’il ne peut plus remporter le Tour d’Italie, sa seule ambition est de faire perdre Louison Bobet. C’est à ce moment précis que la naturalisation à titre posthume de l’Ange de la montagne commence à trotter dans notre tête.
Pour y parvenir, il s’allie avec le principal concurrent du Français pour la victoire finale : Gastone Nencini. Leader du général, l’Italien profite du travail titanesque de Gaul dans les ascensions. Comme lors de l’arrivée à Levico pour l’ultime étape de montage. Le Luxembourgeois s’adjuge la victoire, en amenant Nencini dans sa roue. Bobet doit s’avouer vaincu. Le Français dérange.
En ce 9 juin 1957, date de la dernière étape, Louison ne perd pas seulement le Giro. Il le voit en plus de ça s’échapper pour 19 petites secondes. Un coup dur sublime, lui qui a porté la tunique rose à 8 reprises durant les trois semaines de course.
De sa carrière remplie de victoires, nous ne retiendrons que ce lumineux Giro 1957. Il ne pouvait pas en être autrement avec notre mauvaise foi légendaire.