S’il ne fallait retenir qu’un Tour de France pour Raymond Poulidor, ça serait sans doute le Tour de France 1964. Épique, il sera aussi l’occasion de voir un finish en contre-la-montre. Là aussi, il s’est joué à quelques secondes seulement et il verra un Français terminer second. Mais cette fois, c’est un Français qui terminera premier : Jacques Anquetil, évidemment.
N’oubliez jamais. On préférera toujours Poulidor à Hinault.
— Fédé 🇫🇷 de la Lose (@FFLose) June 17, 2020
Les forces en présence
Avec ses 4 tours de France au palmarès, Jacques Anquetil a déjà dépassé Louison Bobet. Mais le bougre veut être seul en haut du palmarès de la Grande Boucle. De son côté, Poulidor cherche lui à remporter son premier Tour. La France est divisée en 2. Les pro-Poulidor — coureur chaleureux et reflet de la France populaire — et les pro-Anquetil — athlète froid, efficace, mais sans sentiment.
Et très clairement, la France n’est pas fan des vainqueurs. Poulidor est LE coureur aimé en France. Comble de tout cela, Anquetil gagnera même des édition du Tour sous les sifflets de la foule. Raymond Poulidor est déjà ce coureur malchanceux, maladroit, mais plein de panache. Cette réputation se vérifiera pendant ce Tour de France épique.
Un début en fanfare
Et dès la première étape, reliant Rennes à Lisieux, Poulidor va se retrouver dans une chute collective juste avant l’arrivée et perdre 20 secondes sur son rival normand. Mais le premier grand coup de théâtre arrivera lors de la 9e étape, qui trimballe le peloton de Briançon à Monaco.
En arrivant en tête dans un Stade Louis II plein, assez rare pour le souligner, il ne lui reste plus qu’un tour à effectuer pour gagner l’étape. Sauf que Poupou n’a pas lu le tracé du parcours et coupe son effort 1 tour trop tôt. Il voit donc Anquetil arriver comme une balle et le dépasser, puis d’autres coureurs en faire de même. Il reprend son effort trop tard et termine 5e. Jacques Anquetil remporte lui l’étape et gagne surtout la minute de bonification. Oui, les bonifications étaient bien énormes à l’époque. Et retenez bien cette minute, elle vaudra son pesant de cacahouètes à la fin.
Andorre — Toulouse, l’étape de la Lose
La veille de l’étape — jour de repos — Anquetil décide de conjurer le sort. Troublé par la prédiction d’un mage qui a vu sa mort dans une chute, il décide d’ingurgiter du méchoui et de la sangria jusqu’à ce qu’il ne puisse plus rien avaler. Manière très franchouillarde de conjurer le sort, n’est-ce pas. Etonnamment, il n’est pas en grande forme au début de l’étape et se fait larguer dès le premier col, avec 4 minutes de retard. Au prix d’une descente exceptionnelle et de prises de risques dantesques, il va rattraper le groupe des favoris.
D’un autre côté, Poulidor, ça reste la guigne incarnée. Voyant sa roue voilée, son mécanicien lui demande de poser pied à terre pour la changer. Raymond s’exécute, et repart. Sauf que la roue est mal serrée, et il chute. Le temps de remettre tout en marche, Anquetil va de son côté attaquer. Pas fairplay, mais efficace. Alors qu’il aurait pu pour la première fois de sa carrière prendre le maillot jaune, Poupou va perdre un temps considérable.
Le retour de Raymond Poulidor au panache… puis de la lose.
Et quand en plus, Poulidor apprendra que Anquetil a été poussé pour revenir dans le peloton et n’écope que de 15 secondes, il va trouver en lui une rage nécessaire pour revenir sur les traces de son rival. Dans l’étape suivante, il attaque toute la journée et ne laisse aucun répit à ses concurrents. Il rattrape quasiment tout son retard et finit la journée à seulement 11 secondes du normand.
Mais la guigne reviendra rapidement. Lors du contre la montre Peyrehorade — Bayonne, qui est pourtant la spécialité d’Anquetil, Poulidor tient la dragée haute. Au 30e kilomètre, il crève. Rien de bien grave, ça n’est l’affaire que de quelques secondes. Normalement.
Antonin Magne, son directeur sportif, touche le mécanicien venu à la rescousse avec sa voiture. Ce dernier freine, mais ne s’arrête pas. Le mécanicien lui, en sortant de la voiture en mouvement, trébuche, se vautre dans le fossé vélo à la main. Pire, il se casse la cheville. Poulidor va chercher lui-même avec le nouveau vélo, et repart. Mais le vélo est abimé, et il va changer sa roue tout seul. Il perdra près d’une minute à cause de cette mésaventure.
La légendaire ascension du Puy-de-Dôme
Tout se jouera donc dans la dernière étape de montagne, avec l’ascension du Puy-de-Dôme. Anquetil est en souffrance, mais ne le montre pas. Il bluffe même Poulidor sur sa condition. Les deux laissent des Espagnols prendre de l’avance et se regardent en chien de faïence. Épaule contre épaule, le combat et dantesque. Le plus fort semble être Poulidor, mais il n’attaque finalement pas. Il a peur d’exploser.
Poulidor attend trop pour attaquer. À moins d’un kilomètre de l’arrivée, il s’envole et prend des dizaines de mètres et des dizaines de secondes. 42 secondes exactement. D’ailleurs, on saura plus tard que Poulidor aura fait deux erreurs majeures. Il n’a jamais reconnu l’étape et aurait pu gagner de précieuses secondes avec de meilleures trajectoires. Mais surtout, il s’est trompé de braquet. Il aurait ainsi pu monter avec plus d’aisance ce col. La légende voudra aussi que, mal informés, plusieurs journalistes disent à Poulidor qu’il a gagné assez de temps lors de son arrivée. L’ascenseur émotionnel total.
Sur la ligne d’arrivée, Anquetil conservera donc son maillot jaune pour 14 petites secondes. Raymond Poulidor n’aura jamais été si proche de la tunique jaune. Mais tout n’est pas fini. Comme dans tous les grands tours de France, il se finit par un contre-la-montre.
Le finish du 14 juillet
Et cette dernière étape, qui arrive au Parc des Princes, sera elle aussi serrée. Si Poulidor remporte l’étape, il gagne le Tour de France au prix des bonifications. Poulidor ne possède que 3 secondes de retard à l’arrivée. Mais Anquetil, fin calculateur, a géré son effort et produira un finish parfait. Il remporte pour 55 secondes son 5e tour de France, alors que Poulidor devient pour la première fois second sur la Grande Boucle.
Il va sans dire qu’avec un peu plus de préparation, et un peu moins de malchance, Poulidor aurait remporté haut la main le Tour de France 1964. Mais s’il l’avait remporté, est-ce que sa légende serait identique ?
En tout cas, il conclura ce Tour d’une phrase que nous validons bien évidemment :
« Cette deuxième place est un honneur »