Thibaut Pinot, The Last Danseuse


Photo : LaPresse / Icon Sport

Bruno Génésio a dit un beau jour: “Il n’y a qu’une chose d’inéluctable : la mort”. À présent, il y en a deux. La mort et la sortie du peloton de Thibaut Pinot à la fin de l’année 2023.

Cette petite notification qui a brisé le cœur de chaque amoureux du cyclisme n’était pas franchement une surprise. Non, soyons francs. Entre nous, l’arrivée de cette annonce était d’une évidence cristalline et nous étions tous dans un déni collectif. Un déni d’imaginer qu’un jour, nous allions arriver à revivre émotionnellement ce Giro 2018 ou ce Tour 2019. Parce qu’on a vécu trop de choses pour se dire qu’on jour ça se terminerait. Parce qu’on pensait naïvement au fond de nous qu’un jour une certaine forme de justice sur pédales allait être rendue. Mais le sport, comme la vie, est par nature injuste.

C’est l’histoire d’un mec

Le monde du sport (ou au moins du cyclisme) se divise en 2 catégories. Les supporters de Pinot, et les autres. Et c’est aussi parce que l’on reçoit bon nombre de messages qui ne comprennent pas cette relation qu’on rédige ceci. Thibaut, c’est l’école de la vie. C’est tes parents qui te disent le premier jour de maternelle que tout va bien se passer pour te rendre compte 30 ans plus tard que tout ça était des immenses foutaises et que ça risque de te coûter cher en séances de psy.

C’est l’histoire d’un mec qu’on découvre sur le Col de la Croix (tiens tiens) en 2012. 10e de son premier Tour, avec la petite musique du “et si c’était lui”. L’année d’après, un fil d’oreillette coincé dans les rayons de la roue et une angine plus tard, un premier abandon. On ne le savait pas encore, mais ça ne sera qu’une première étape d’une succession d’espoirs et de scoumoune. 3e et maillot blanc l’année d’après, puis ça celle d’après.

Et on ne parle ici que du Tour de France. Car toute sa carrière, Thibaut Pinot aura été une sorte de Sisyphe sur selle. Mais contrairement à ce dernier, il nous laissera toujours l’impression qu’il n’a pas envoyé le rocher de l’autre côté. Non, un caillou dans la chaussure a toujours fait que ce rocher lui est retombé dessus. Pourtant, il en a eu des succès et des échecs. Il l’a remonté ce putain de rocher, et il l’a repris dans les narines.

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Un Giro 2017 où il n’est pas à 100% mais accroche quand même une étape et une 4e place. Le Tour de Lombardie 2018, son monument qu’on a peut-être pas dégusté à sa juste valeur. Un Giro 2018 où une pneumopathie sur l’avant-dernière étape le prive d’un podium tout fait. Et doit-on encore parler du Tour 2019 ? Du 2020 ?

C’est une bonne situation, ça, supporter de Thibaut Pinot ?

Mais pour comprendre un supporter de Pinot et la relation qui les lie, il faut aller bien au-delà du récapitulatif de la carrière sur Wikipédia. Pinot, comme notre regretté Raymond Poulidor, c’est bien plus que du cyclisme. C’est l’espoir inatteignable, c’est une certaine idée du sport et de ses valeurs, c’est la haine de ces putains de compteurs de Watt, c’est l’antithèse de ce cyclisme d’épicier qui se coure à l’oreillette, c’est s’envoyer en danseuse même si ce n’est pas la position aérodynamique par excellence. C’est sentir la course. C’est le panache. C’est aussi une certaine idée du cyclisme, qui, dans nos cœurs, prendra sa retraite avec Thibaut.

Supporter Pinot, c’est aussi accepter les faiblesses des autres. Accepter que les espoirs ne soient qu’espoirs. Rares sont les sportifs qui auront été aussi à même de nous partager leurs émotions, heureuses et tristes. C’est comprendre que même si seule la victoire est belle, son chemin est tortueux. C’est être là dans les quelques hauts et les trop nombreux bas de l’existence. On a été heureux, on a souffert, on a flippé, on a jubilé. Mais surtout, on a vibré putain.

Alors, il ne nous reste que 10 mois. On ne sait pas vraiment à quoi s’attendre, mais on attendra. Il y aura des hauts, des bas. Mais où qu’il soit, il sait déjà que ses supporters seront là.