Roland-Garros 1993 | Thierry Champion, le bien nommé


Champion, le bien nommé

Le public de Roland-Garros n’a pas toujours été gâté par la lose. Terrassés par la catastrophe Yannick Noah en 1983, les fans de tennis français n’ont repris goût à la vie que petit à petit jusqu’à cet exploit de Thierry Champion en 1993.

D’abord en 1985, un peu, avec ce 6-0, 6-0 brillant pour Catherine Tanvier qui se fait effilocher par son idole Martina Navratilova. En 1988 aussi, avec la finale perdue en trois sets par Henri Leconte face à Mats Wilander, et ce néant dans les deux dernières manches (7-5, 6-2, 6-1). De petites étapes pour arriver, enfin, au 27 mai 1993. Le lendemain de l’abominable victoire de l’OM en Ligue des champions, c’est un autre Champion qui redonne illico à la France toutes ses lettres de noblesse. Thierry, à jamais dans nos cœurs.

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Thierry Champion : sans arme, ni haine, ni violence, ni jeu.

Quart de finaliste à Roland-Garros en 1990, vainqueur express de Pete Sampras en 1991 (6-3 6-1 6-1, quelle honte), il est 172e mondial lorsqu’il se mesure au mastodonte de la terre battue Sergi Bruguera. Allons droit à l’essentiel, car ça n’est plus un mystère pour personne ; il va déguster un savoureux 6-0, 6-0, 6-0. Le match parfait. Encore aujourd’hui, et c’est bien normal, cette heure de grâce (une heure pile de jeu, record absolu du tournoi) reste légendaire et fait de lui un patron de la lose. Il a créé l’histoire. L’Espagnol, en pitié pour le pauvre Thierry, essaya même de laisser le Français gagner un jeu. En vain. « Pour les gens, j’étais un pantin, un clown. Je n’étais plus un joueur de tennis. C’est terrible. » Quatre balles de jeu, 28 points marqués.

« J’ai envie de rentrer chez moi, de me cacher sous la couette pendant un jour ou deux, une semaine… Je ne sais pas. Il y avait pas mal de copains, des gens du club. Au début, ça fait plutôt plaisir, il y a le public aussi. Et puis c’est la frustration. Je demande pardon à tous. Surtout aux gens du club, car mes amis peuvent comprendre et me pardonneront peut-être. Les jeux s’enchaînaient, à la fin je ne voyais même plus comment gagner un jeu… » Et même lui l’a bien senti, ce n’est pas une blague :

Il a essayé de m’en donner un, je n’ai même pas réussi à le gagner.

Cette phrase est désormais affichée dans le hall des nombreuses écoles de tennis, de l’Hexagone. Enfin, si on avait un club, on la mettrait.

Transmettre son expérience, une nécessité.

« Dès la fin du premier set, je n’avais qu’une envie : sortir du court, rentrer chez moi le plus vite possible. Je n’ai pas mal au coude, ou je ne sais quoi… On m’a demandé si j’allais faire un bilan sanguin. Ça n’a rien à voir. » Comme si le Henri Toubon des Inconnus, en 1990, prenait réellement vie sous nos yeux ébahis. Un miracle. « C’est une grosse raclée, la vie ne s’arrêtera pas. » Oh non Thierry, bien au contraire. Ce tricycle, c’est comme quand on t’enlève les roulettes du vélo à trois ans. Ça te montre le chemin. Celui de la lose éternelle, du destin rare d’un élu. Gravé dans la légende du tennis français.

Heureux de transmettre son savoir, débordant de générosité, il entraînera ensuite Paul-Henri Mathieu et Richard Gasquet. Champion, joueur puis coach, c’est un peu le Zizou du tennis. Et c’est même Bruguera, sans doute pris d’un élan de lucidité lorsqu’il a vu Gasquet un peu trop winner, qui a appelé Champion en personne pour le rejoindre dans le staff en 2016. « On ira se faire un set en cachette, pour que je puisse prendre un jeu », osait-il alors pour Midi libre. Bien décidé à marquer à sa manière la terre battue parisienne. Un projet de remplacement des statues des Mousquetaires par la sienne serait à l’étude.