17 novembre 1993. 44 minutes et 58 secondes dans le temps règlementaire. Kostadinov glace le Parc des Princes avec une frappe limpide, qui crucifie Bernard Lama et l’équipe de France. Lama n’arrivera même pas à se relever, et la France ne se qualifiera pas pour la coupe du monde 1994.
Du fond des tripes, Thierry Roland résume parfaitement cet instant quelques secondes après, avec un « C’est la mise à mort ». Pas pour la FFL, qui voit dans cette frappe une nouvelle légende naitre à cet instant précis. Et si celle-ci à un gout vraiment particulier pour nous, c’est aussi parce qu’elle ne se résume pas qu’à ce simple moment. Cette lose légendaire synthétise ce que l’on aime dans nos grandes défaites : Un mélange d’arrogance, de faillite mentale, et de recherche du coupable idéal, avec un zest de coup du destin. Une tragédie en 3 actes.
Acte 1 : La débâcle israélienne.
C’est dans ce même Parc des Princes qu’un mois plus tôt la France accueille l’équipe d’Israël. Le contexte est limpide : La France a besoin d’une victoire ou d’un nul si le scénario des autres matchs et favorable pour aller aux USA jouer la coupe du Monde. Face à eux, une sélection israélienne faible. Très faible. Zéro victoire depuis 1 an et demi, 2 points glanés en 7 matchs de qualifications. Pour finir de se rassurer, la France s’était imposée 4-0 à Tel Aviv.
Bref, autant dire que l’ensemble des joueurs et dirigeants sont venus mains dans les poches voire dans le slip, en claquettes chaussettes. Bannière étoilée dans les vestiaires, « L’Amérique » de Joe Dassin dans les hauts parleurs du stade et un Gérard Houllier, sélectionneur de l’époque, qui parle déjà au futur : « Dès que nous serons qualifiés, il faudra construire l’Amérique à chaque match. Et nous le ferons. ».
Le champagne est déjà au frigo, mais la pugnacité n’est pas sur le terrain. La France encaisse un but après une séquence défensive foireuse, mais gère la suite avec un but de Sauzée puis un autre, splendide, de Ginola. Mais ce dernier, vous le savez bien, ne sera pas le héros de cette campagne de qualifications. Dans les 10 dernières minutes, la France encaisse 2 buts, dans lesquels nos joueurs se font passer comme de simples plots, et font passer les joueurs israéliens pour des joueurs de classe mondiale.
Ils se voyaient déjà qualifiés, il faudra passer par la case Bulgarie. L’histoire ne saura jamais si le champagne au frais dans les vestiaires a été tout de même bu. Par contre, la boite de nuit réservée pour fêter la qualification verra tout de même les joueurs s’y trémousser jusqu’à pas d’heure…
Acte 2 : La climatisation de Kostadinov.
Novembre 1993. Georgi Georgiev, n’a pas été convoqué pour le match contre la France, quelque jour plus tard. Mais le milieu offensif de Mulhouse, en division 2 française, œuvrera tout de même pour son équipe nationale. Ses coéquipiers bulgares — dont son coéquipier en club Borislav Mikhailov — s’entrainent à quelques kilomètres de là, en Allemagne. Parmi eux, deux d’entre eux n’ont pas de visa valide pour rentrer dans l’hexagone, la fédération bulgare s’est un peu foirée sur le coup. Saloperie de phobie administrative.
Alors Georgi, qui connait bien le coin, va prendre sa voiture et prendre les 2 joueurs. Les frontières du coin sont très peu surveillées. Ah, au fait, qui sont les deux joueurs ? Lyuboslav Penev et Emil Kostadinov.
17 novembre 1993 — avec plus d’humilité, mais aussi une grosse boule au ventre, la France retourne au Parc des Princes. Si l’entraide semble de mise côté Bulgare, c’est une équipe de France sous tension qui rentre sur la pelouse. En effet, 2 jours plus tôt, Davis Ginola faisait une sortie remarquée à Clairefontaine en disant que Papin et Cantona ne devraient pas jouer au Parc des Princes, car ils avaient joué à l’OM. Le groupe vivait bien. Les Bulgares, eux, arrivent décomplexés et mettent la pression par médias interposés. La peur est palpable dès l’avant-match et se confirme au coup d’envoi. Que ce soit dans les tribunes, dans le staff ou sur le terrain, la crispation est totale.
Malgré cela, Cantona envoie un missile des familles à la 32e minute suite à une remise parfaite de Papin, n’en déplaise à Ginola. Mais ce but ne décoince pas les bleus. Pire encore, ils seront encore plus dans une optique de conservation du score, de peur de perdre. Ils ne s’en remettent plus qu’à un exploit de leur duo d’attaque. C’est l’inverse qui arrivera. Suite à un corner obtenu après une action confuse, la Bulgarie égalisera sur un but de… Kostadinov, déjà lui.
La suite, vous la connaissez. Coup franc joué par Guerin qui passe à Ginola au poteau de corner bulgare. Ce dernier fait le choix qui marquera sa carrière. Pas celui de signer au Paris Saint-Germain, mais celui de pénétrer et de ne centrer à personne au lieu de conserver la balle. Ou plutôt, centrer sur un bulgare. Et lors de leur contre-attaque, Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué verront Deschamps, Le Guen, Pedros, Roche et Blanc défendre de manière médiocre et passive sur leurs vis-à-vis. Passe de Penev, missile de Kostadinov dans la lucarne de Bernard Lama. Les regards hagards, la France ne verra pas l’Amérique, qui restera un rêve, nous le savons.
Acte 3 : Le coupable idéal.
Le traumatisme est national, et il ne faudra que quelques secondes pour le mettre au niveau d’un Séville 82 dans la mémoire collective. Les joueurs sont à terre, Deschamps en pleurs, Desailly en immense colère dans les vestiaires. Les raisons de ce fiasco sont multiples, et ils le savent tous. Arrogance contre Israël, peur de perdre face à la Bulgarie, occasions ratées, défense laxiste sur la contre-attaque bulgare, et ce coup franc qui permet à Kostadinov de foudroyer la France.
Pour Gérard Houllier cependant, il n’y aura qu’un seul coupable dans toute cette histoire : David Ginola, l’auteur du coup franc. La conférence de presse d’après match sera d’une violence inouïe. Faisant fi d’une remise en question personnelle et globale, il assènera la déclaration suivante :
« David Ginola a envoyé un exocet à travers le cœur du football français. Il a commis un crime contre l’équipe. Je le répète, un crime contre l’équipe ».
Et c’est là que cette lose prend une toute autre dimension dans nos cœurs de losers. Car si elle était déjà immense de par son scénario, la dramaturgie Houllier-Ginola qui s’en suivra y apportera une couche de vernis sur ce match légendaire. David Ginola, passe de gendre idéal à coupable idéal. Mis au pilori par Houllier et très vite par les supporters français, il sera sifflé sur tous les terrains de France et s’exilera à Newcastle. Lors de son dernier match sous la tunique bleue, il subira une nouvelle bronca, malgré un score de 10-0 face à l’Azerbaïdjan.
Avec Gérard Houllier, la querelle ira même jusque dans les tribunaux pour injures publiques. Houllier lui, mettra de son côté une partie de la faute sur Jacquet, qu’il accusera de ne pas l’avoir laissé exclure Ginola suite à ses déclarations d’avant match. Il confessera tout de même une erreur personnelle : celle d’avoir fait rentrer Ginola.
La Bulgarie elle, finira 4e du mondial américain. La France, elle, vivra encore quelques tumultes, mais force est de constater qu’elle apprendra de ses erreurs, créant un nouveau traumatisme en 1998. Mais ce traumatisme aura lieu à la FFL cette fois. Certains y verront aussi un acte fondateur pour 1998. Mais soyons honnêtes, cela voudrait dire que Domenech a été indispensable pour la victoire en 2018 ?
@fededelalose 17/11, le jour maudit du football français. #récit #football #equipedefrance #coupedumonde #ginola #kostadinov ♬ LoFi(860862) – skollbeats